Il y a des dates qu’on célèbre en silence, entre deux souvenirs. Le 14 mai 1831 est de celles-là : une ordonnance réorganise alors ce que l’on appelait les troupes coloniales et donne naissance aux deux premiers régiments d’infanterie de marine. Une nouvelle ère s’ouvre pour ces soldats au long cours, terriens de la mer, baroudeurs de la République.
Les Troupes de Marine ne sont pas des marins, c’est là tout leur paradoxe. Ce sont des soldats que la France projette loin, très loin parfois, pour tenir des lignes que d’autres abandonnent. Un uniforme bleu à ancre dorée, un képi ici, un salacot là-bas, et souvent une fourragère qui dit l’histoire, les campagnes, les sacrifices.
Pour moi, c’est surtout une expérience humaine. Fréjus, le 4e RIMA. J’y suis entré après mes études supérieures, en 1990, avec ce sentiment étrange de quitter une « bulle » d’entre-soi, universitaire et urbaine, pour retrouver la société dans toute sa diversité. Dans les chambrées, plus de diplômes, plus de statuts : seulement l’effort, la mission, la sueur, et cette fraternité qui ne demande qu’à naître sous la pluie ou au pas de course.
Contingent 90/10. Période trouble, entre deux guerres, ou presque. L’ombre du Golfe planait déjà, et nos permissions fondaient comme neige au Koweït. Mais on tenait. Parce que faire son service dans les Troupes de Marine, c’était une école. Une école du mérite : on portait la fourragère si on la méritait, on coiffait le képi si on en était digne. Engagés ou appelés, peu importait : quand on faisait le boulot, on faisait corps.
Douze mois de service, dix mois de terrain. Être sergent instructeur, loin d’être une planque, une mission. Cet engagement-là, prolongé, répété, parfois rude, m’a valu la médaille de bronze de la Défense nationale. Une médaille qu’on ne recevait pas pour le décorum, chez les Marsoins — et encore moins quand on était bidasse — mais parce qu’on avait montré qu’on tenait la ligne, dans la durée, sans faillir.
Et ce respect-là, celui qu’on vous témoigne quand vous le gagnez, pas par naissance, mais par engagement, il vous suit toute une vie. Il façonne une manière d’être, de regarder les autres, d’aimer son pays sans le crier, juste en servant.
Alors entre deux gorgées, à l’ombre d’un souvenir ou d’un drapeau, levons le verre aux Troupes de Marine. À ceux qui sont partis loin pour servir, à ceux qui ont appris à grandir sous l’uniforme, et à ceux qui, appelés ou engagés, n’ont jamais triché avec l’effort.
Et au nom de Dieu… vive la Coloniale.