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La visite de Vincent Auriol à la Foire de Brignoles (1947)

Elle dort dans un classeur, entre d’autres documents du siècle passé, mais chaque fois que je la ressors, je la regarde longuement. Cette photographie de presse, achetée il y a un an sur un site d’enchères, est bien plus qu’une image figée : c’est une scène vivante, un instant suspendu de l’histoire ouvrière et républicaine.

Nous sommes le 14 avril 1947, à Brignoles. Le président de la République Vincent Auriol, élu quelques mois plus tôt, inaugure la Foire-Exposition. Après les privations de guerre, ce rendez-vous marque un nouveau départ, une volonté de relancer l’économie dans les territoires, au plus près des acteurs de la production et du renouveau. Dans les rues décorées de guirlandes, la République se mêle aux fifres, aux tambourins, et à la poussière encore vive des mines alentour.

Sur la photo, Vincent Auriol se tient devant une reconstitution d’entrée de galerie minière. Il tient en main un marteau-piqueur que lui tend un mineur, dans un geste symbolique — presque théâtral. Mais ce qui frappe, ce sont les sourires. Autour du président, les visages casqués sont détendus, presque complices. Loin de l’image solennelle d’une visite officielle, on devine ici une forme de connivence entre ceux qui gouvernent et ceux qui extraient la richesse du sol.

Au-dessus d’eux, une pancarte proclame :

“Comme tous les mineurs de France, les mineurs de Bauxite ont dit :
Nous descendons pour que remonte la France.
(Fédération Nationale du Sous-Sol)

Tout est là : le travail invisible des profondeurs qui soutient le redressement du pays. Ce stand de la Fédération nationale du sous-sol n’était pas anecdotique : il incarnait un pan entier de l’économie régionale. Dans le Var, les mines de bauxite à Mazaugues, Cabasse, Le Cannet-des-Maures et au Thoronet bien sûr, formaient un véritable bassin de vie. La Foire de Brignoles, plus qu’un simple événement commercial, devient alors un théâtre de reconnaissance. L’État, en la personne de son président, rendait hommage à ces filières du “profond”, à ces métiers rudes, aux hommes qui creusaient la terre pour relever le pays.

Cette image m’accompagne désormais. Comme celle de l’action de la Société Générale des Bauxites, elle veille sur mes projets. Elle me rappelle que le terroir ne se raconte pas seulement en vignes ou en oliviers, mais aussi en minerai, en aluminium et en sueur. Elle m’aide à dire ce que j’essaie de construire à travers mes productions : un récit complet, charnel, de notre territoire. Un récit qui honore à parts égales la nature, la mine et la main.