Spread the love

C’était un matin de mai comme on finit par oublier qu’ils existent encore sous nos latitudes : gris, humide, presque frileux, mais plein de promesses. Le genre de matin où l’on sait qu’il ne se passera rien d’important, sauf peut-être une rencontre, un sourire, ou un verre levé dans un éclat de lumière.
À Sanary, pourtant, ce n’est pas le soleil qui fait l’éclat, c’est le rosé. Sur le port, les fanions dansaient paresseusement entre deux ondées, les pavés glissaient sous les pas hésitants des curieux, et les verres, eux, brillaient de leur propre lumière.

Je n’avais que la matinée devant moi. Mais parfois, le peu suffit à remplir beaucoup.

La première halte, celle du cœur. Un petit passage sur le stand de la Guilde des Vignerons pour saluer les jeunes coopérateurs du Thoronet. Une parole échangée, un sourire, suffisent parfois à dire beaucoup. On ne boit jamais seul quand on connaît le visage de ceux qui font le vin.

Ensuite, ce fut pour La Suffrène. Leur rosé, bâti sur 40 % de Mourvèdre, a ce quelque chose d’évident et de franc qui ne se discute pas. Frais, tendu, expressif, il exhale des notes d’agrumes et d’épices sans jamais hausser la voix. Un rosé qui s’impose doucement, à la manière d’un ami de toujours qu’on retrouve au détour d’un chemin. Un domaine avec qui je collaborais déjà il y a plus de vingt ans. Le revoir là, presque inchangé, relevait de la douce persistance des choses vraies.

Un peu plus loin, du côté de Trets, le Domaine Jas Monges. Une aventure familiale née il y a plus de soixante-dix ans, au pied du mont Aurélien. Leur rosé se tient droit, précis, presque minéral. Rien d’ostentatoire, tout en retenue. Un vin pour les esthètes silencieux, les peintres de l’ombre, ceux qui préfèrent les contours aux éclaboussures.


Puis, au hasard des stands, l’instant insulaire, je la dois à la Corse. À Antisanti, plus précisément, sur les hauteurs d’un monde entre mer et maquis, s’élève la Villa Angeli. Leur cuvée Don Pasquale, assemblage de Sciaccarellu, Cinsault et Grenache, a la fraîcheur d’une rosée d’aube. Elle chante en bouche, entre notes salines et fruits pâles, avec cette vibration propre aux îles. Et que dire de son flacon, pensé comme un objet de désir, sobre et magnétique, comme une élégance qui ne chercherait pas à plaire.

Mais la vraie surprise, la vraie rencontre, trouve ses racines au cœur de la Haute Provence. En échangeant avec le solaire et passionné représentant de la huitième génération du Château Saint Jean Lez Durance, j’ai retrouvé ce feu discret mais tenace qui anime ceux dont le vin coule dans les veines. Entre une cuvée Pimayon baignée de soleil , mariage délicat de Grenache, Syrah et Roussanne, et un rosé Liberty au Muscat de Hambourg, inattendu et aérien, le cœur a balancé. Léger, floral, joyeux, ce rosé évoque les jardins d’été et les jupons qui volent. Une friandise pour les jours sans urgence.

L’après-midi s’annonçait, et déjà l’heure venue de quitter les verres pour revenir à la vie ordinaire. Mais avant cela, je me suis laissé happer par le marché alimentaire installé le long des allées d’Estienne d’Orves. Les effluves y étaient puissants, ancrés dans la terre et la mémoire. Et je n’ai pu faire autrement que de m’arrêter devant un étal de Cade toulonnaise. Cette épaisse galette de farine de pois chiches, plus douce que la socca niçoise, plus généreuse, plus enracinée, m’a rappelé que dans le Sud, tout se partage, même le silence d’un déjeuner solitaire.

Je suis reparti avec le goût du sel sur les lèvres, un souvenir de muscat au fond du palais, et cette impression douce et tenace d’avoir vécu, en quelques heures, ce que beaucoup cherchent en plusieurs jours. Le vin a cela de rare : il contient, dans un verre, tout un paysage, une saison, une intention.

Et peut-être, qui sait, un peu de poésie aussi.