Au croisement de la rue Grande et de la rue Saint-Félix, en face d’Ô Bulles Carrées, le caviste, une maison bourgeoise au bel aplomb s’impose discrètement. Deux étages, des proportions équilibrées, et cette porte de cave, dont l’encadrement de pierre taillée attire aussitôt l’attention. Étonnamment, ce n’est pas au-dessus de la porte que l’œil est attiré, mais juste à côté : dans le prolongement du linteau, probablement celui d’une ancienne issue mitoyenne, condamnée il y a fort longtemps , est gravé un motif qu’on ne croise pas tous les jours en Provence : un lauburu, cette croix basque aux quatre branches recourbées. La date de 1861 complète le tableau.

On pourrait passer devant sans y prêter garde. Et pourtant, ce détail dit beaucoup. Le XIXe siècle a vu circuler tailleurs de pierre, charpentiers et maçons itinérants, porteurs de savoir-faire, de motifs et de symboles. Le lauburu, habituellement enraciné dans le Pays basque, s’est parfois invité plus à l’est, le long des routes de commerce et des chantiers. Ici, il trouve sa place au cœur du village, comme une empreinte discrète laissée par le passage d’un artisan ou d’un commanditaire soucieux de faire signe.
Car le lauburu n’est pas un simple ornement. À sa manière, il protège.
Il appartient à cette famille de symboles qu’on inscrivait dans la pierre pour tenir les malheurs à distance, pour veiller sur les récoltes, les enfants, les murs. D’autres maisons de Provence arborent des croix de Camargue, des étoiles à huit branches, des rosaces solaires. Ici, c’est cette roue tournée vers elle-même qui a été choisie.
Peut-être y a-t-il, derrière ce choix, un lien personnel avec le Sud-Ouest. Peut-être est-ce simplement le goût d’un motif réputé favorable, au moment de bâtir sa maison. Le XIXe siècle aimait à convoquer les signes anciens, pour ancrer les constructions dans une forme de stabilité rassurante. Le lauburu, par sa rondeur et son mouvement, incarne aussi cette idée d’équilibre et de continuité.
Il reste, au final, ce qu’il est : une gravure dans la pierre, visible depuis la rue, offerte au regard du passant attentif. Une façon discrète de dire que la maison n’est pas seulement un assemblage de murs, mais aussi un lieu de mémoire, de protection, et d’inscription dans un monde de symboles que la modernité n’a pas tout à fait effacé.