Société Générale des Bauxites (1901) : de la terre à l’action
Juste au-dessus de mon bureau, un cadre discret. À l’intérieur, un titre ancien, imprimé en 1901, où les arabesques graphiques du début du XXe siècle s’entrelacent à l’encre noire : Société Générale des Bauxites. Une action de 100 francs au porteur, sans nom ni visage, mais pas sans mémoire.
La poussière du temps ne l’a pas effacée. Elle est là, comme un talisman. À l’époque, la société venait d’être fondée à Paris, avec l’ambition de tirer profit d’un minerai bien particulier : la bauxite.
Découverte en 1821 aux Baux-de-Provence, c’est dans le Var, bien plus tard, à partir des années 1870, que son extraction a redessiné le paysage humain. Les premiers contrats connus concernent la bauxite blanche de Cabasse, utilisée pour les briques réfractaires. Puis les chantiers s’ouvrent à Mazaugues, à Vins, au Cannet-des-Maures. À mesure que l’on creuse, les hommes deviennent des “Gueules Rouges” : visages et vêtements marqués par cette terre ferrugineuse, ardente, exigeante.
Cette action est une relique de ce monde-là. Elle parle de capital et d’outils, mais aussi de chair et de mine. Ce titre porte en creux les voix des ouvriers du bassin bauxitique, l’industrialisation de la Provence, les espoirs minéraux du Second Empire… prolongés par la République. Mais aussi un écho intime. Elle veille sur mes projets comme une figure tutélaire : la bière du Gueule Rouge, le Calen pour les bougies, le Baume pour le vinaigre, le sabon pour le savon… et la Pépie, cette terrasse-concept dédiée aux plaisirs terriens et clin d’œil à la mémoire ouvrière.
Ce bout de papier, aujourd’hui sans cote, reste un témoin capital. Il m’aide à raconter un autre récit du terroir : ni pastoral ni figé, mais traversé d’industries, d’hommes en lutte, de matières brutes et de gestes oubliés. C’est cette part-là que je veux exhumer, honorer, transmettre.
Et si je l’ai choisie, cette action, ce n’est pas pour ce qu’elle vaut, mais pour ce qu’elle évoque, en silence. Ce rouge ancien qui continue à battre, doucement, dans le cœur de mes projets.