
Dans une discrète niche de la rue Saint-Félix, au cœur du vieux village du Thoronet, une petite statue de pierre semble avoir traversé le temps. Saint en prière, regard levé et main sur la poitrine, il nous observe silencieusement, témoin modeste mais tenace d’une mémoire locale.
Son nom n’est pas rare dans les calendriers chrétiens. Plusieurs figures illustres répondent au prénom de Félix : un pape romain martyrisé, un évêque bâtisseur à Nantes, un ermite royal devenu cofondateur d’ordre, ou encore un prêtre charitable assassiné pour sa foi.
Mais ici, dans ce coin de Provence, c’est très probablement saint Félix de Nole qui est honoré.
Prêtre du IIIe siècle, Félix de Nole était connu pour sa charité, sa sagesse et son dévouement aux plus humbles. Arrêté puis exécuté sous l’Empire romain, il devient un symbole de fidélité et de résistance spirituelle. Très vénéré dans les villages méridionaux, il est souvent invoqué comme protecteur des campagnes et des récoltes — ce qui explique sans doute sa présence dans nos ruelles.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire la proximité de l’abbaye du Thoronet, il n’existe aucun lien historique ou spirituel entre saint Félix et le monastère cistercien. Ce dernier, fondé au XIIe siècle, est placé sous le vocable de Notre-Dame, selon la tradition de l’ordre de Cîteaux. Ici, la figure de saint Félix appartient à une mémoire villageoise autonome, bien ancrée, bien vivante, indépendante des grandes institutions.
La rue Saint-Félix devient alors une invitation à lever les yeux. À reconnaître, dans les détails du quotidien, la survivance de croyances, de gestes et de noms qui racontent une autre histoire du Thoronet — une histoire tissée de piété populaire, de ruralité et d’attachement à des figures de vertu modeste.
L’histoire, parfois, se glisse là où on ne l’attend pas. Après la parution de ce billet, une famille du Thoronet a partagé un souvenir précieux : le nom de la rue Saint-Félix, au-delà de sa référence apparente — et peut-être inconsciente — à un saint du calendrier, protecteur des campagnes et des récoltes, aurait en réalité été donné par le maire de l’époque en mémoire d’un aïeul, ancien combattant de la Grande Guerre. À son retour, cet homme, prénommé Félix, fit lui-même ériger la niche et y plaça la statue.
Ainsi, sous les habits du saint, c’est aussi la mémoire d’un homme qui continue discrètement de veiller sur le village. Une autre forme de sainteté — et peut-être, tout simplement, du sens commun.